Sélection de la langue

Recherche


Fiche d'information : l'étude KiKK expliquée

Contexte

En réponse à des préoccupations soulevées par la publication d'études antérieures fondées sur les données du Registre des cancers infantiles en Allemagne (GCCR) (1, 2, 3), le Bureau fédéral allemand pour la protection radiologique (BfS) a lancé, en 2003, une étude cas-témoins chez les enfants de moins de cinq ans vivant dans un rayon de cinq kilomètres d'une centrale nucléaire. Cette étude, appelée Kinderkrebs in der Umgebung von Kernkraftwerken (KiKK), visait à comparer tous les cas de cancer infantile diagnostiqués entre 1980 et 2003 à des témoins, soit des enfants non atteints de cancer. Dans l'étude KiKK (4), on s'est servi de la distance par rapport à une centrale nucléaire comme variable de substitution pour l'exposition au rayonnement afin d'évaluer le risque de cancer infantile, en se concentrant sur les cas résidant à l'intérieur d'un rayon de cinq km de 16 centrales nucléaires en Allemagne.

La principale observation réalisée dans le cadre de cette étude était que plus la distance par rapport à une centrale nucléaire était petite, plus le risque de leucémie chez les enfants de moins de cinq ans était élevé. Les auteurs de l'article avaient toutefois précisé que ces résultats étaient inattendus, car les taux de rayonnements mesurés étaient très faibles, les causes de la leucémie infantile demeurent inconnues, et les résultats pourraient être attribuables à un facteur confusionnel ou au pur hasard (4).

Point de vue de la CCSN

La CCSN a analysé l'étude KiKK ainsi que d'autres articles récents sur les sources d'exposition aux rayonnements et sur les effets sur la santé qui en découlent. La raison pour laquelle on compte davantage de cas de leucémie près des centrales nucléaires allemandes demeure nébuleuse. Toutefois, cette augmentation ne saurait être expliquée par les rayonnements émis par ces centrales.

Comme on croit que la leucémie infantile est attribuable à plusieurs facteurs, d'autres facteurs peuvent expliquer les résultats observés. Il faut donc tenir compte d'autres facteurs environnementaux. Si l'on veut bien comprendre la maladie, il faudra entreprendre des travaux de recherche plus poussés, de nature interdisciplinaire, sur les causes et les mécanismes de l'apparition de la leucémie infantile.

Le lecteur trouvera ci-après des précisions sur de récentes études internationales clés portant sur le lien entre la distance par rapport à une centrale nucléaire et la leucémie infantile.

Suivi de l'étude KiKK

Kaatsch et al. (2008) (6)

Kaatsch et al. (6) ont effectué un suivi de l'étude KiKK. Ils se sont concentrés sur les 593 cas de leucémie infantile (plutôt que sur l'ensemble des affections malignes) signalés entre 1980 et 2003 dans le GCCR chez des enfants de moins de cinq ans qui habitaient près de l'une des 16 centrales nucléaires au moment du diagnostic. La distance par rapport à une centrale nucléaire servait d'indicateur de l'exposition au rayonnement provenant de la centrale.

Selon Kaatsch et al. (6), « [traduction] Lorsqu'on exclut chacune des centrales nucléaires une à une au moment d'effectuer les calculs, les résultats ne changent que de façon minime : les coefficients de régression varient de 1,39 à 2,09, et tous les résultats demeurent statistiquement significatifs. » Par conséquent, les résultats ne pouvaient être attribués à un site en particulier; ils étaient constants pour l'ensemble des 16 centrales nucléaires.

Toutefois, les auteurs précisent ensuite que « [traduction] la déviation maximale par rapport au coefficient global de 1,75 est observée lorsque les données sont analysées en excluant la centrale nucléaire de Krümmel (coefficient de régression de 1,39, limite inférieure de l'IC à 95 % de 0,14) (6). » Or, une grappe bien connue de cas de leucémie infantile a été observée en 1990 près de la centrale de Krümmel et a perduré au moins jusqu'en 2005. Par conséquent, l'inclusion ou l'exclusion de la centrale de Krümmel, dans l'étude KiKK, avait une forte incidence sur le risque estimatif dans le rayon de cinq kilomètres (7, 8).

Selon les auteurs, la tendance croissante inversement proportionnelle à la distance par rapport aux sites, observée lorsque la distance était considérée comme une variable continue, n'était pas observée lorsque la distance était considérée comme une variable nominale (6). De même, les estimations du risque obtenues par l'analyse d'incidence (9) semblaient être inférieures à celles obtenues par l'approche cas‑témoins (6). Les auteurs indiquent également que les résultats ont été largement attribués aux cas dans les études antérieures fondées sur le GCCR menées de 1980 à 1990 (1) et de 1991 à 1995 (2), et en particulier dans la zone de cinq kilomètres, car les données de ces études et d'une étude plus récente (1980 à 2003) se chevauchaient. En fait, le risque estimatif de 1,78 (limite inférieure de l'IC à 95 % : 0,99) indiquait que la période la plus récente (1996 à 2003) était associée à une valeur inférieure à celle des périodes précédentes, et seule une tendance à une augmentation du risque par rapport à la proximité a été observée (6).

Le point fort de cette étude est que l'on dispose de données individuelles, c'est-à-dire pour chaque sujet, relativement à la distance entre la résidence et la centrale nucléaire la plus proche au moment du diagnostic. On ne disposait toutefois pas de données individuelles sur l'exposition aux émissions de la centrale nucléaire, sur l'exposition à d'autres sources de rayonnement (p. ex., dans un contexte médical), sur le temps passé ailleurs qu'à l'adresse du domicile et sur les autres endroits où les sujets auraient habité auparavant.

Les auteurs ont précisé que l'association pouvait être influencée par d'autres facteurs liés à la leucémie infantile (p. ex., classe sociale, pesticides, facteurs ayant une incidence sur des facteurs immunologiques, exposition à d'autres rayonnements ionisants). Malheureusement, le taux de réponse aux entrevues menées dans le cadre de l'étude était très faible, en particulier dans le rayon de cinq kilomètres, alors il s'est avéré impossible de tirer quelque conclusion que ce soit quant au lien entre de possibles facteurs de risque de confusion et l'observation réalisée par les auteurs. En l'absence d'information sur les causes possibles de la leucémie infantile, il est impossible de tirer des conclusions sur le risque.

Les auteurs ont mentionné que l'exposition aux rayonnements près d'une centrale nucléaire en fonctionnement normal est extrêmement faible en comparaison des autres sources de rayonnements ionisants auxquelles est exposée la population générale (de 1 000 à 100 000 fois moins que l'exposition annuelle moyenne aux rayonnements d'origine naturelle [1,4 mSv] ou d'origine médicale [1,8 mSv] en Allemagne). Les auteurs n'ont pas attribué les taux accrus de leucémie infantile aux émissions des centrales nucléaires, et ils ont précisé que les résultats ne concordaient pas avec les données biologiques et épidémiologiques actuelles en matière d'exposition aux rayonnements (10). Les auteurs sont arrivés à la conclusion que la tendance positive observée en lien avec la distance demeure inexpliquée et que l'on ne peut rien affirmer quant à la cause des taux accrus de cancer (6).

Autres analyses

Grosche (2008) (11)

Grosche (11) a effectué une analyse plus poussée des données utilisées dans l'étude cas-témoins KiKK et en est arrivé à la conclusion que la tendance observée quant au risque diminuait en fonction du temps. Il semblait donc à l'auteur qu'un agent quelconque, associé à une prévalence décroissante en fonction du temps, était en cause. Cependant, aucune explication claire ne peut être fournie à l'heure actuelle en ce qui concerne le lien de causalité qui existerait entre un quelconque facteur de risque chimique ou physique et le risque observé.

COMARE (2011) (7)

Le 14e Comité sur les aspects médicaux du rayonnement dans l'environnement (COMARE) (7) a également observé, pour 1991 à 1995 et pour 1996 à 2003, que les données indiquant un risque accru de leucémie chez les jeunes enfants dans un rayon de cinq kilomètres d'une centrale nucléaire allemande, autre que celle de Krümmel, étaient faibles. Néanmoins, la grappe de Krümmel ne pouvait être expliquée par les émissions produites par une centrale nucléaire en fonctionnement normal.

Commission allemande de protection radiologique (SSK, 2008) (12)

La Commission allemande de protection radiologique (SSK) a chargé un groupe de travail multidisciplinaire composé d'experts internationaux de passer en revue les données actuelles sur le rayonnement et la leucémie, de faire la synthèse d'une nouvelle analyse indépendante des données de l'étude KiKK et de produire une évaluation finale du plan global de l'étude, de sa réalisation, de ses résultats et de l'interprétation des données.

Les experts étaient d'avis que l'étude KiKK présentait plusieurs limites, comme des lacunes quant aux données sur l'exposition et sur d'autres facteurs de risque dont on sait qu'ils sont associés à la leucémie infantile. Les données indiquant un risque accru de cancer infantile se limitent à la zone de cinq kilomètres entourant les centrales nucléaires, et le risque diminue en fonction du temps. Selon eux, la distance entre une résidence et une centrale nucléaire ne convient pas à l'établissement d'une corrélation avec l'exposition aux rayonnements émis par une telle centrale; l'exposition réelle aux rayonnements provenant des centrales nucléaires est mille fois inférieure à l'exposition pouvant être à l'origine des risques signalés dans l'étude KiKK. De même, l'exposition au rayonnement de fond naturel dans les régions étudiées, l'exposition attribuable à des interventions médicales et les fluctuations de ces types d'exposition sont supérieures, de plusieurs ordres de grandeur, à l'exposition additionnelle aux rayonnements provenant des centrales nucléaires en cause.

Une réévaluation des résultats de l'étude KiKK a aussi révélé que l'emplacement des résidences, à savoir si elles étaient situées en milieu urbain ou en milieu rural, avait une incidence marquée sur le risque estimatif (12). Par conséquent, le groupe d'experts internationaux a conclu que les causes de l'augmentation des taux de leucémie infantile observée dans l'étude KiKK demeurent nébuleuses. Comme la leucémie est causée par de multiples facteurs, de nombreux autres facteurs pourraient être à l'origine du résultat de l'étude (12, 13).

Little et al. (2008) (14) et Laurier et al. (2008) (15)

Little et al. (14) et Laurier et al. (15) ont examiné l'étude KiKK et sont arrivés à des conclusions semblables, à savoir que les taux accrus de leucémie observés chez les enfants de 0 à 4 ans dans un rayon de 5 km des centrales nucléaires allemandes n'étaient pas corroborés par les études menées dans d'autres pays et que, à ce jour, rien ne pouvait expliquer l'augmentation observée. L'hypothèse la plus probable est celle de la contribution d'un agent infectieux et du brassage de population près des installations nucléaires (16), mais l'agent en cause demeure inconnu. Le 14e Comité sur les aspects médicaux du rayonnement dans l'environnement (7) est arrivé à des conclusions similaires.

Autres études

Depuis la publication de l'étude KiKK, plusieurs autres chercheurs au Royaume-Uni (17), en France (18), en Suisse (19) et en Finlande (20) sont arrivés à la conclusion selon laquelle il n'y avait aucun lien entre la leucémie infantile et la distance par rapport à une centrale nucléaire. Bien que les auteurs de l'étude française GeoCAP (8) aient trouvé un lien entre la distance et la leucémie infantile en utilisant une approche cas-témoins, l'utilisation d'une approche par zonage géographique fondé sur les doses (DBGZ) a produit des résultats très différents à partir des mêmes données. Avec l'approche DBGZ, le rapport de cotes et le rapport standardisé d'incidence étaient près de un dans toutes les catégories de dose, ce qui signifie que l'association ne peut s'expliquer par les émissions gazeuses des centrales nucléaires (8, 21).

Conclusion

Lorsqu'on tire des conclusions relativement aux effets des rayonnements sur la santé, il faut tenir compte de l'ensemble des données. Ainsi, les allégations quant à l'existence d'un lien entre la leucémie infantile et les rayonnements produits par les centrales nucléaires ne sont pas fondées, et elles ne sont pas corroborées par une masse de données probantes découlant de la réalisation de multiples études épidémiologiques.

La CCSN surveille les nouvelles publications sur le sujet afin de s'assurer de disposer de l'information la plus récente, fondée sur des principes scientifiques éprouvés, lorsqu'elle prend des décisions relatives à la protection de l'environnement et de la santé et la sécurité du public et des travailleurs. Le personnel de la CCSN contribue à développer les connaissances scientifiques sur les rayonnements en participant aux travaux de comités scientifiques internationaux et en menant des études au Canada sur les liens entre les rayonnements ionisants, les travailleurs et le public.

Références

  1. Michaelis J, Keller B, Haaf F, and Kaatsch P, 1992. Incidence of childhood malignancies in the vicinity of West German nuclear power plants. Cancer Causes Control3(3): 255-263.
  2. Kaatsch P, Kalersch U, Meinert R, and Michaelis J, 1998. An extended study on childhood malignancies in the vicinity of German nuclear power plants. Cancer Causes Control 9(5): 529-533.
  3. Grosche B, Lackland D, Mohr L, Dunbar J, Nicholas J, Burkart W, and Hoel D, 1999. Leukaemia in the vicinity of two tritium-releasing nuclear facilities: a comparison of the Kruemmel Site, Germany, and the Savannah River Site, South Carolina, USA. Journal of Radiological Protection 19(3): 243-252.
  4. Spix C, Schmiedel S, Kaatsch P, Schulze-Rath R, and Blettner M, 2008. Case-control study on childhood cancer in the vicinity of nuclear power plants in Germany 1980-2003. European Journal of Cancer 44(2): 275-284.
  5. Committee on Medical Aspects of Radiation in the Environment (COMARE), 2006 Eleventh Report. The distribution of childhood leukaemia and other childhood cancer in Great Britain 1969-1993. Available on http://www.comare.org.uk/comare_docs.htm
  6. Kaatsch P, Spix C, Schulze-Rath R, Schmiedel S, and Blettner M, 2008. Leukaemia in young children in the vicinity of German nuclear power plants. International Journal of Cancer 122(4): 721-726.
  7. Committee on Medical Aspects of Radiation in the Environment (COMARE), 2011 Fourteenth Report. Further consideration of the incidence of childhood leukaemia around nuclear power plants in Great Britain. Available on http://www.comare.org.uk/comare_docs.htm
  8. Sermage-Faure C, Laurier D, Goujon-Bellec S, Chartier M, Guyot-Goubin A, Rudant J, Hémon D, and Clavel J, 2012. Childhood leukemia around French nuclear power plants--the Geocap study, 2002-2007. International Journal of Cancer 131(5): E769-780.
  9. Kaatsch P, Spix C, Jung I, and Blettner M, 2008. Childhood leukemia in the vicinity of nuclear power plants in Germany. Dtsch Arztebl Int 105(42):725-732.
  10. United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation (UNSCEAR), 2008. United Nations. Effects of Ionizing Radiation. 2006 Report to the General Assembly, with scientific annexes. United Nations, New York.
  11. Grosche B, 2008. TheKinderkrebs in der umgerbung von kernkraftwerken" study: results put into perspective. Radiation Protection Dosimetry 132(2):198-201.
  12. SSK, 2008. Assessment of the “Epidemiological Study on Childhood Cancer in the Vicinity of Nuclear Power Plants" (KiKK Study): Position of the Commission on Radiological Protection (SSK).
  13. Zeeb H, 2008. German Radiation Protection Commission reviews study on childhood cancer in the vicinity of German nuclear power plants. Journal of Radiological Protection 28 (4): 609-611.
  14. Little J, McLaughlin J, and Miller A, 2008. Leukaemia in young children living in the vicinity of nuclear power plants. International Journal of Cancer 122(4): x-xi.
  15. Laurier D, Jacob S, Bernier MO, Leuraud K, Metz C, Samson E, and Laloi P, 2008. Epidemiological Studies of Leukaemia in Children and Young Adults around Nuclear Facilities: A Critical Review. Radiation Protection Dosimetry 132(2): 182-190.
  16. Kinlen L, 1988. Evidence for an infectious cause of childhood leukaemia: comparison of a Scottish new town with nuclear reprocessing sites in Britain. Lancet 2 (8624): 1323-1327.
  17. Bithell JF, Keegan TJ, Kroll ME, Murphy FG and Vincent TJ, 2008. Childhood leukaemia near British nuclear installations: Methodological issues and recent results. Radiation Protection Dosimetry 132(2): 191-197.
  18. Laurier D, Hemon D, and Clavel J, 2008. Childhood leukaemia incidence below the age of 5 years near French nuclear power plants. Journal of Radiological Protection28(3): 401-403.
  19. Spycher BD, Feller M, Zwahlen M, Röösli M, von der Weid NX, Hengartner H, Egger M, Kuehni CE, Swiss Paediatric Oncology Group, and Swiss National Cohort Study Group, 2011. Childhood cancer and nuclear power plants in Switzerland: a census-based cohort study. International Journal of Epidemiology 40(5):1247-1260.
  20. Heinävaara S, Toikkanen S, Pasanen K, Verkasalo PK, Kurttio P, and Auvinen A, 2010. Cancer incidence in the vicinity of Finnish nuclear power plants: an emphasis on childhood leukemia. Cancer Causes Control 21(4):587-595.
  21. Evrad A, Hémon D, Morin A, Laurier D, Timarche M, Backe J, Chratier M and Clavel J, 2006. Childhood leukaemia incidence around French nuclear installations using geographic zoning based on gaseous discharge dose estimates. British Journal of Cancer 94: 1342-1347.

Détails de la page

Date de modification :